Afrique-France : « la jeunesse doit être un acteur clé de l’agenda de coopération », Frédérick TSATSU
Trois mille personnes venues d’Afrique et de sa diaspora se sont retrouvées le 8 octobre 2021 à Montpellier au Sud de la France, pour dessiner ce que seront d’ici 2030, les nouveaux rapports entre l’Afrique et la France. Cette assise a marqué selon certains acteurs une étape importante dans les relations entre l’Afrique et la France. Où en sont les États dans la mise en œuvre des recommandations de ce nouveau sommet ? Comment amener à des actions concrètes ? Djena aborde toutes ses questions avec Frédérick Mawupenkor TSATSU, le Président du Conseil de Dialogue et de Partenariat Togo-France, Chargé du suivi des recommandations du Nouveau Sommet Afrique France.
Vous avez été élu en février 2023, président du Conseil de Dialogue et de Partenariat Togo-France, Chargé du Suivi des Recommandations du Nouveau Sommet Afrique-France. Pourquoi un nouveau Sommet Afrique-France était-il nécessaire ?
La chute du mur de Berlin en 1989 a modifié la vieille cartographie du monde qui ne connaissait que les deux grandes puissances, les États-Unis et ses alliés, et l’Union soviétique, et ses satellites, avec, en face, ce qu’Alfred Sauvy a appelé le Tiers-monde. Le monde est alors devenu multipolaire. Mais, dans ce monde nouveau, les institutions internationales dominées par l’Occident sont contestées et à l’initiative des pays émergents, de nouvelles relations sud-Sud se tissent, afin de leur permettre de mieux maîtriser le jeu complexe de la mondialisation. Chacun, en convient que l’exploitation de l’Afrique par les anciennes puissances coloniales est une réalité.
Si la colonisation a permis la création de l’État africain moderne, si elle a laissé une administration qui a permis de consolider l’État, l’Afrique a perdu, pendant cette période, les biens les plus précieux que sont l’identité et la dignité. Mais aujourd’hui, l’histoire de l’Afrique doit être réécrite à la lumière des valeurs de notre époque. Il est temps de reconstruire les relations entre les anciennes puissances coloniales et l’Afrique en ayant d’autres objectifs que la dénonciation du passé, surtout que c’est indéniable le fait que nous sommes liés par un destin commun. Il est temps de bâtir, dans le cadre d’un partenariat « gagnant-gagnant » et pluriel, l’architecture nouvelle des relations entre l’Afrique et la France.
C’est dans ce contexte qu’a eu lieu le nouveau sommet Afrique-France à Montpellier le 08 octobre 2021. Beaucoup d’entre nous y ont pris part. Dans l’histoire des relations entre l’Afrique et la France, aucun autre sommet, sans doute, n’aura suscité autant d’intérêt, d’engouement ou de passions, aussi bien en Afrique que dans le reste du monde.
Parlez-nous du Conseil de Dialogue et de Partenariat Togo-France ?
En octobre 2021, lors du Nouveau Sommet Afrique-France, la France s’est engagée à collaborer davantage avec les sociétés civiles et les jeunesses africaines. Dans la même veine, elle a indiqué vouloir discuter directement avec elles et accompagner désormais ces acteurs, bénéficiaires de premier plan des programmes et projets de coopérations. Ceux-ci, à leur tour, décideront de comment conduire leurs projets sur le continent afin de donner une nouvelle orientation aux relations entre la France et l’Afrique. C’est est un engagement pris par la France. Par devoir et responsabilité, il nous revient, à nous, sociétés civiles et surtout jeunesses africaines de créer, par le dialogue et l’échange, le croisement des savoirs et des expériences, le cadre du nouveau partenariat pour une croissance saine et durable.
Considérant les nouveaux enjeux de coopération et défis auxquels le continent fait face, de jeunes togolais engagés, participants au Nouveaux Sommet Afrique – France ainsi que des acteurs de la société civile et entrepreneurs togolais et de la diaspora de divers horizons ont créé le 04 février 2023, le Conseil de dialogue et de partenariat Togo-France chargé du Suivi et la mise en œuvre des recommandations du nouveau Sommet Afrique France. Deuxième du genre en Afrique après celui du Cameroun et le premier en Afrique de l’Ouest, le Conseil vise à s’affirmer comme une plateforme incontournable pour la réinvention de la relation Afrique-France au Togo et en Afrique de l’Ouest.
Quel sera l’impact du conseil ?
L’objectif primordial du Conseil est de sensibiliser, de former et de plaider autour du nouveau modèle et des nouveaux outils du Partenariat Afrique-France. Nous ouvrirons des débats qui permettront de dépasser les malentendus et erreurs du passé, et de faire face ensemble aux défis actuels pour se projeter sereinement vers l’avenir. Il s’agit essentiellement de mettre en œuvre des projets citoyens concrets qui traduisent sur le terrain un nouveau narratif autour des enjeux de développement intégral du continent.
Catalyseur de nouvelles coalitions d’idées, communautés d’intérêt et synergies entrepreneuriales dans un contexte mondial de remise en cause des acteurs et modes de gouvernance hérités du système colonial, le Conseil inscrit véritablement les jeunesses et les sociétés civiles togolaises et françaises dans un nouveau schéma de gouvernance participative, transformant par la même occasion la diplomatie publique. Ce sera fini cette forme de coopération basée sur la logique de l’aide et de la dépendance pour un nouveau partenariat gagnant-gagnant, cristallisé autour des défis communs. La société civile et la jeunesse devront être désormais des acteurs à part entière de l’agenda de coopération, aux côtés des décideurs publics.
Pensez-vous que vous aurez les armes nécessaires pour mener à bien votre mission ?
L’Afrique émergée, riche de son dynamisme, de ses hommes et de ses ressources est appelée à être le centre de gravité de cette nouvelle ère participative, collaborative et solidaire. L’humanisme empreint d’éthique, de dignité, de respect et d’intégrité doit être la matrice de cette nouvelle relation à bâtir entre les peuples autour de principes immuables de souveraineté, d’interdépendance et de durabilité.
C’est à ce prix qu’une nouvelle relation entre l’Afrique en général et le Togo en particulier et la France est possible. Qui plus est, nous sommes engagés dans une perspective d’actions concrètes. C’est le choix que nous avons fait et que rien ne peut entraver tant que ce choix est partagé par nos partenaires et que les principes qui le sous-tendent sont respectés. Cela reste un défi à relever ensemble.
Quels sont alors vos domaines d’actions prioritaires ?
Se référant aux défis actuels de nos sociétés et s’alignant sur la feuille de route gouvernementale 2025, le CDP TOGO-FRANCE met la jeunesse au cœur de son action. Le genre et le numérique sont des sujets transversaux de trois axes stratégiques à savoir la promotion de l’entrepreneuriat agricole et de l’économie sociale et solidaire ; le renforcement de la participation citoyenne et la cohésion sociale par les industries culturelles et créatives et le sport ; et le développement des territoires durable.
Vous êtes également Président de Jeunesse Unie pour une Nouvelle Afrique (JUNA), une organisation créée dans les années 2000, quel regard portez-vous aujourd’hui sur la jeunesse africaine ?
Aujourd’hui, 60 % des Africains ont moins de 24 ans. À l’horizon 2050, 35 % des jeunes dans le monde seront africains, alors que cette proportion n’était que de 15 % en 2000. Ces statistiques sont des données essentielles de l’avenir du continent qui est le plus jeune au monde, et donc, miser sur la jeunesse africaine, c’est miser sur l’avenir du continent. Elle constitue un défi, mais elle est aussi une opportunité de développement pour le continent, notamment en matière d’innovation et de transformation économique et sociale.
De plus en plus éduquée, de plus en plus globalisée, plus connectée sur les réseaux sociaux, la jeunesse africaine exprime des attentes fortes quant aux choix politiques et sociaux de nos sociétés. Il urge d’abord d’intensifier sa sensibilisation sur le rôle qu’elle doit jouer face aux enjeux du développement du continent et aux enjeux des mutations que traverse le monde. Ensuite, il est important que la jeunesse se structure davantage pour que la floraison d’idées innovantes qu’elle porte se mue à des entreprises à fortes valeurs durables. Enfin, au regard des grands enjeux du continent, il faut qu’elle abandonne les démarches individualistes et adopter des démarches collectives et créer de forts écosystèmes profitable à tous.
Justement, dans son discours prononcé à Ouagadougou en 2017, Emmanuel Macron a affirmé que la jeunesse africaine doit être la priorité pour le continent. Quelles sont les actions à mener pour aider les jeunes à transformer l’Afrique ?
Les gouvernants africains doivent adopter et mettre en œuvre des solutions adaptées pour libérer le potentiel de la jeunesse du continent. Les décideurs des secteurs privé et public, doivent travailler ensemble, car c’est grâce à un engagement fort et à un partenariat stratégique que des progrès peuvent se concrétiser. Des systèmes de développement des compétences adaptés, tant dans la formation technique et professionnelle que dans l’enseignement supérieur doivent être mis en place.
Il est aussi indispensable de doter les jeunes, en particulier les jeunes femmes, des compétences et des outils nécessaires dans un monde où la nature de l’emploi évolue rapidement et en permanence. Par ailleurs, je crois qu’il faut mettre également en place des programmes d’entrepreneuriat et d’incubation agricole, mais aussi des mesures d’incitation et de financements durables pour améliorer l’inclusion des jeunes vulnérables. Cela constitue également des défis de partenariats entre l’Afrique et la France.
Ce 14 juillet, c’est la journée de célébration de la fête nationale de la France, quel est votre message à cet effet ?
Le 14 juillet 1789, le peuple français, en s’emparant de la Bastille, symbole de la monarchie absolue, a pris son destin en main. Le 14 juillet marque donc l’attachement de la France aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui incarnent les principes fondateurs de la République française. Le CDP Togo-France souhaite une belle célébration à toutes les Françaises et à tous les Français en général et à celles et ceux vivant au Togo en particulier au premier rang duquel se trouve Son Excellence Augustin Favereau, Ambassadeur de France au Togo. Que les valeurs cardinales de liberté, d’égalité et de fraternité s’affirment davantage dans le nouveau partenariat Afrique-France par la diversité de nos cultures et au croisement de notre histoire commune.
Votre mot de fin ?
Je paraphraserai le Président Emmanuel Macron en affirmant que l’avenir de l’Afrique et de la France appartient aux jeunes générations. De Ouagadougou à Montpellier, de Lomé à Paris en passant par Bamako, Yaoundé ou Ndjamena, la voix de la jeunesse africaine porte un souffle d’espoir, une opportunité historique, celle de pouvoir écrire une nouvelle page de notre futur commun. Nous y sommes, écrivons-la, ensemble !